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La grande inondation qui ravagea la Hollande, aux environs de l’an 1400, emporta les ateliers et les fabriques où les Kersten, bourgeois opulents, faisaient filer la bonne toile des Flandres, depuis le Moyen Age.
Après cette catastrophe, ils se fixèrent à Goettingen, en Allemagne de l’Ouest, y reprirent leur métier et rétablirent leur fortune. En 1544, lorsque Charles Quint visita la cité, Andréas Kersten faisait partie du Conseil municipal et, pour récompenser son mérite, l’Empereur, sans toutefois l’anoblir, lui donna des armes : deux poutres surmontées d’un casque de chevalier et semées des lys de France.
La famille continua de prospérer à Goettingen, encore cent cinquante ans. Alors vint le feu : un incendie la ruina sans appel.
Le XVIe siècle s’achevait. Il fallait des colons aux marches de Brandebourg. Le margrave Johan Sigismund, qui en était le souverain, accorda une centaine d’hectares aux Kersten. Ils y travaillèrent, paysans et fermiers, durant deux cents années. Le Brandebourg n’était plus qu’une province de l’Empire d’Allemagne, et le XIXe siècle approchait de son terme quand un taureau enragé tua, en pleine force de l’âge, Ferdinand Kersten, sur la terre que le margrave avait donnée à son ancêtre de Goettingen.
La veuve, laissée sans grandes ressources, mais avec une famille nombreuse, vendit la ferme pour s’établir dans la petite ville voisine où elle pensait qu’il lui serait plus facile d’élever ses enfants.
Le cadet de ses fils était agronome, mais il n’avait plus de terre qui lui appartînt. Il chercha un emploi. Celui de régisseur lui fut offert en Pays Balte, qui faisait partie de la Russie des tzars. Il obéit au destin qui poussait les siens toujours plus avant vers l’est.